Chapitre 4 – De l’Eire au Pays de Galles

De Howth à Caernarfon (une nuit difficile pour Gina, un moment embarrassant pour John…)

Quitter la marina de Howth après 10 jours de vie terrienne semblait un nouveau départ.

Conscient des soucis que j’avais pour barrer China Blue en marche arrière, j’avais eu tout le temps  d’imaginer une stratégie pour quitter le ponton sans heurter quoi que ce soit. Je voyais là la seule difficulté de notre prochaine  navigation.

Quant au reste, y compris la négociation du passage de la barre du Menai Straits, j’accordais entière confiance à John. Depuis le début de notre voyage, il s’était porté volontaire pour préparer nos routes sur les cartes papier, intégrant courants et marées. Je dois admettre que je lui abandonnais cette tâche avec plaisir.

China Blue à la marina de Howth

China Blue à la marina de Howth

Le soleil était encore haut sur l’horizon à 20h30, alors que nous hâlions la dernière amarre à bord. Longuement réfléchie, la manœuvre s’est exceptionnellement bien déroulée, m’emplissant de confiance pour la suite. Avec un certain panache, j’orientai la proue de China Blue entre les balises du chenal.

C’est à ce moment exact qu’une flottille de voiliers, qui avaient participé à une régate l’après-midi, commença à entrer dans le port, à la queue-le-leu. John se tenait près du mât avant, signalant des ordres: “plus sur bâbord… plus sur bâbord…”, puis se tournant franchement vers moi en vociférant “PLUS SUR BÂBORD !!!”.

Ayant mieux à faire, soucieux d’éviter tout contact trop rapproché avec un des bateaux entrants, j’ignorais sans complexe ses directives jusqu’au point (horreur!) de laisser une balise rouge sur bâbord.

Dans la même minute, il y eut un sinistre raclement sous le bateau, qui s’est immédiatement arrêté.

Pleins gaz en avant, pleins gaz en arrière. J’ai brassé beaucoup de vase; mais nous étions définitivement échoués.

Je crois qu’à ce moment-là, John m’aurait volontiers précipité dans l’eau boueuse, s’il avait pu mettre la main sur un bloc de béton assez lourd pour que j’y reste.
Non seulement j’avais délibérément outrepassé ses ordres. Mais le pire pour son ego fut d’endurer les regards goguenards à peine dissimulés des équipages d’une bonne douzaine de voiliers entrant dans la marina.

Inutile de dire que je me sentais absolument stupide. J’ai une qualification de moniteur de bateau-école. Je suis supposé savoir de quel côté on laisse les balises rouges en sortant d’un port. Je suis censé l’enseigner aux gens.

Le staff de la marina, dont nous croyions avoir définitivement pris congé, est venu à la rescousse avec deux puissantes barques en bois. Après avoir dû attendre que tous les bateaux entrants soient passés, ils ont réussi à nous extraire de notre piège.
Voilà pour le panache.

Mais nous étions en route.


En route pour le Pays de Galles

En route pour le Pays de Galles

L’incident fut bientôt dilué dans les premières lueurs du soir. Le ciel était un velours bleu sombre, il soufflait une légère brise, mais à cause de mon départ catastrophique nous avions négligé de libérer les voiles, et nous avons préféré continuer au moteur, la mer commençant à forcir. De plus, nous avions un horaire à respecter.

Nous gardions des yeux attentifs sur chaque lumière aperçue à l’horizon. La nuit est tombée, nous avons appris à reconnaître les chalutiers et leurs puissants projecteurs, les ferries éclairés comme des sapins de Noël et les 3 discrets feux des cargos.

Vers 3 heures du matin, la mer est devenue agitée. Puis très agitée, puis grosse. Le vent soufflait avec violence.

China Blue recommença à rouler, tanguer et déraper dans toutes les directions. L’obscurité nous a épargné la vue des énormes vagues qui nous projetaient d’un bord à l’autre, nous percutant en plein tribord.

John et moi nous relayions à la barre. Gina alternait entre mal de mer et vomissements. Il n’y avait là plus aucun plaisir, tout ce que nous pouvions faire était continuer au moteur, tenant la barre à deux mains pour garder le bateau sur son cap. Il n’était pas question de s’aventurer sur le pont pour établir les voiles.


Marc nous avait envoyé un message avec un plan détaillé du chenal d’entrée dans le Menai Straits, mais John était anxieux d’arriver à la barre de Caernarfon à temps pour la marée. Nous avons augmenté le régime moteur, et China Blue a commencé à batailler à 7 nœuds à travers les paquets de mer.

Nous étions désolés pour Gina. Pour sa première traversée sur China Blue, nous avions mis la barre trop haut. Epuisée, fatiguée d’être malade, elle restait au bas de la descente, accrochée à la barre de sécurité du four avec l’énergie du désespoir,  et y a passé le reste de la nuit.


Nous étions supposés passer la barre à 10h00. Mais nous avions mis trop de moteur, et il était près de 07h00 quand nous nous sommes présentés. Nous avons décidé de tuer les 3 heures restantes en zig-zaguant. Cela nous donnait un peu de répit, parce que nous allions alterner toutes les demi-heures, face aux vagues pendant une demi-heure et dos aux vagues la demi-heure suivante.

Face aux vagues, China Blue se sentait mieux, sa proue pointant vers le ciel avant de s’écraser dans les creux, dans d’impressionnantes gerbes d’eau et d’écume. Nous la sentions indestructible.

Faisant demi-tour, dévalant la houle, nous avions une allure relativement plus confortable, tant que nous arrivions à garder la poupe perpendiculaire aux vagues.

Mais sitôt que nous reprenions le cap vers notre destination, les vagues nous frappant par tribord rendaient la vie à bord infernale.


Nous avons fini par passer la barre de Caernarfon et entrer dans le chenal. La surface de l’eau est devenue plate; Gina a recommencé à sourire.

John était encore debout à la proue, respectant scrupuleusement les instructions écrites de Marc, en m’indiquant à nouveau les directions avec son bras tendu, et criant par dessus pour être sûr que je comprenne bien.

Chose que je n’ai pas forcément faite. Fort de la leçon de la veille au soir, je me sentais tout à fait capable de suivre les balises d’un chenal tout seul. Je jugeais que John faisait preuve d’excès de prudence, alors que j’étais plus enclin à prendre des raccourcis. OK, d’accord, je suis passé une nouvelle fois du mauvais côté d’une balise verte, mais quoi, qui m’avait foutu cette balise là de toutes façons?!

L’entrée de la marina de Caernarfon, à 90 degrés sur notre tribord, était plutôt étroite. Le fort courant de la marée montante nous poussait en avant. John toujours sur la proue, me criait de virer “plus à tribord, plus à tribord!”. N’en faisant qu’à mon idée, je voulais attendre d’avoir une bonne vue de l’entrée de la marina, mais ce délai a bien failli nous embarquer trop loin.

Amarré à couple à Caernarfon

Amarré à couple à Caernarfon

C’est uniquement grâce aux vociférations de John et la puissante réaction de notre moteur, à fond en avant, que j’ai réussi à négocier l’entrée dans le port, un peu en catastrophe, mais sans heurter quoi que ce soit.

Dès que nous fûmes amarrés, à couple avec un gros ketch en bois, nous avons eu la joie de voir arriver Marc et Natalia qui venaient nous accueillir. Ils nous ont immédiatement proposé gîte et couvert, s’inquiétant pour Gina qui commençait tout juste à se remettre de sa terrible nuit.

Caernarfon

Caernarfon

Caernarfon fut une escale délicieuse. La petite ville est très pittoresque, la météo était clémente, nous y avions de charmants amis, le vin était bon, la nourriture excellente, l’ambiance au top. Nous avons même été invités à une soirée spéciale au Royal Yacht Club, une vénérable institution de la ville. Nous n’avions jamais mis les pieds dans un Yacht Club, encore moins « Royal » . Remarquez, j’ai l’impression que dès que quelque chose a un tout petit peu d’ importance au Royaume Uni, on l’appelle « Royal » machin.
Mais nous nous y sommes bien amusés.


Nous sommes restés 6 jours à Caernarfon. Avec une certaine émotion, nous avons accompagné John au taxi qui l’emmènerait à la gare. Il rentrait chez lui pour de bon.

Désormais, c’était Gina et moi. Et China Blue.

(A suivre…)

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