Chapitre 3 – La longue route pour Dublin

De Bangor à Howth (et une belle rencontre)

En dépit de notre mésaventure à Bangor, notre volonté toujours inaltérée, nous avons laissé sur tribord les jolies maisons colorées du front de mer pour arrondir Orlock Point et nous engager dans le passage du Donaghadee Sound, le 2 août à 08h00. Nous étions en route pour l’Eire et la ville de Howth, l’une des marinas qui entourent Dublin.

Bangor, le front de mer

Bangor, le front de mer

Au départ, j’avais prévu de faire une escale pour passer la nuit à Carlingford. Mais les contraintes liées aux marées dans le loch de Carlingford nous auraient fait perdre trop de temps.

Le temps était clair, le ciel dégagé, la mer belle… et le vent complètement absent.

Le moteur démarra à nouveau.

Vous pourriez dire que nous aurions pu nous arrêter quelque temps dans la belle ville de Belfast, nous balader et boire des Guinness, en attendant qu’un vent favorable nous propulse vers le sud.

Deux raisons nous ont poussé à continuer.

La première était que mon épouse Gina arrivait à l’aéroport de Dublin le surlendemain, et que je ne voulais pas la faire attendre.

La seconde… bon, que ce soit clair. J’aime bien les irlandais, ce sont des gens agréables et serviables qui ont le cœur sur la main, et cela, j’ai pu le vérifier un nombre incalculable de fois. Mais voilà, je qualifie la Guinness comme étant une mixture de goudron et d’eau savonneuse. Je vais probablement perdre plusieurs lecteurs ici, mais je tiens à parler franchement. Avant de commencer à me jeter des pierres, je tiens à préciser que John ne souscrit absolument pas à ce point de vue.
Visez bien.

Donc, nous avons fait du moteur. Nous avons fait du moteur sur 90 milles. Nous avons fait du moteur 16 heures durant. Je commençais à regretter de ne pas avoir acheté un jet-ski. Nous aurions fait du moteur à 20 noeuds.

Coucher de soleil sur Carlingford Lough

Coucher de soleil sur Carlingford Lough

Nous avons quand-même apprécié le calme de la mer. Par le travers de Portavogie, nous avons cessé de suivre la côte pour prendre un cap direct sur Howth. La mer a commencé à être hachée, à nouveau conséquence du vent contre le courant, mais rien de comparable aux conditions subies la veille dans le North Channel. Quelques dauphins ont joué avec China Blue pendant un moment.

John m’a expliqué la dramatique famine liée à la maladie de la pomme de terre en 1840, et comment ses propres ancêtres ont traversé le North Channel à la rame pour survivre. Cette poignante évocation a donné un autre éclairage à notre propre traversée.

Il y eut un magnifique coucher de soleil comme nous doublions le Carlingford Lough. Nous avons rencontré un bon nombre de chalutiers, que nous avons soigneusement évités.

Un des nombreux chalutiers au nord de Howth

Un des nombreux chalutiers au nord de Howth

La nuit tombait alors que nous dépassions Lambay Island, quelques 8 milles au nord de Howth. L’arrivée nocturne a mis un peu de piment dans la fin de notre traversée. Localiser les cardinales, les phares et les bouées parmi les lumières de la ville fut un défi intéressant, que nous avons relevé comme des pros. Il était minuit, quand, après une visite involontaire du port de pêche, nous nous sommes amarrés en sécurité dans la marina de Howth.

Nous n’avions pas eu une seule chance de hisser nos voiles.


Lambay island

Lambay island

J’avais initialement prévu de passer 2 jours à Dublin avec Gina.

Depuis le début, elle devait remplacer John à bord, les obligations de ce dernier prenant fin à Howth. Mais John et moi avions pris l’habitude de naviguer ensemble, et nous avons accepté avec joie de retraverser la Mer d’Irlande pour le débarquer au Pays de Galles, afin de faciliter son retour chez lui.

Le reste du voyage le long de la côte irlandaise fut donc abandonné, et un nouvel itinéraire mis au point. La présence de John à bord pour traverser la Mer d’Irlande était pour nous un grand soulagement.


Comme je l’ai mentionné plus haut, John est un amateur de Guinness. A notre deuxième jour à Howth, il a insisté pour que je l’accompagne dans un pub local afin qu’il puisse assouvir sa passion (il n’a pas eu trop besoin d’insister).

Ce qui s’est passé dans ce pub allait donner une nouvelle couleur à notre voyage.

Nous étions au milieu de notre deuxième tournée quand un couple est entré dans le pub. Nous nous sommes immédiatement reconnus: c’étaient les gens qui nous avaient aidé à libérer China Blue deux jours plus tôt à Bangor.

Je mets volontiers l’accent sur la sincérité des relations tissées dans les marinas. Je considère que c’est une bénédiction accordée aux voileux. Certains de nos meilleurs amis ont été rencontrés sur des pontons.

Marc and Natalia

Mark et Natalia

Natalia et Mark n’ont certainement pas échappé à la règle. Nous avons passé la soirée ensemble, en parlant de nos vies, de la voile, de tout. Nous avons bu un ou deux whiskys sur China Blue, puis un ou deux rhums sur Pardela, leur propre voilier, un Bowman 40 construit en 1989. Un très beau bateau, entretenu avec beaucoup d’amour, qui me fit regarder tristement l’état plutôt désolant de China Blue, et me demander si nous aurions jamais assez d’amour à lui donner pour lui rendre un peu de sa gloire passée.

John avait réservé un ferry pour traverser la Mer d’Irlande et rendre visite à sa fille à Londres. Ce même soir, le ferry et le prix du ticket furent oubliés sans hésitation, Natalia et Marc lui ayant proposé d’embarquer avec eux sur Pardela le lendemain matin. Ils ont eu une traversée magnifique vers Caernarfon, Pays de Galles. Bon vent, bonne mer, soleil et ciel bleu. Toutes les conditions que nous aurions rêvé avoir, et que nous n’aurions jamais (mais ça, on ne le savait pas).


John heureux à la barre de Pardela

John heureux à la barre de Pardela

Avant que Gina arrive, je lui avait fait une description très négative de l’état de China Blue. Je pensais qu’ainsi, elle ne le trouverait pas si mal en le découvrant.

Ça n’a pas marché. Elle a été très déçue quand je lui ai présenté le bateau. De savoir que j’avais englouti toutes mes économies de loisir (et plus) dans un projet aussi incertain la déprimait, ce qui me déprimait en conséquence.

Il s’est mis à pleuvoir fort. Les drains du cockpit étaient bouchés, et en sortant nous avons dû patauger dans une petite piscine.  Faisant des efforts sur nous-mêmes, nous avons essayé de notre mieux de nous consoler, en nous promettant que nous trouverions des moyens pour transformer et améliorer le confort et l’habitabilité de China Blue.

En attendant le retour de John, j’avais reçu et installé un traceur ONWA intégrant un transmetteur AIS. Il était rassurant de savoir que les autres bateaux pourraient nous voir, et que nous pourrions les voir en retour, lors des passages de nuit ou en cas de brouillard. En plus il nous servirait de back-up au cas où ma tablette Android tomberait en panne, cette dernière étant jusqu’alors mon unique instrument de navigation électronique.

Etant désormais 3 à bord, nous pouvions enfin envisager sereinement la traversée du Canal Saint George.
Nous étions restés 10 jours à la marina de Howth, ce qui était plus que suffisant malgré l’accueil sympathique du personnel y travaillant.
Nous décidâmes de rallier Caernarfon, où nous allions être accueillis par nos nouveaux amis Marc et Natalia.

Une barre marque l’entrée du Menai Strait qui donne accès à Caernarfon. Elle devait être franchie 2 heures avant marée haute, nous allions donc naviguer de nuit pour y arriver au moment adéquat.

J’avais souvent conté à Gina le charme de la navigation nocturne, la quiétude de l’obscurité enveloppant le bateau, le calme paisible d’un profond ciel étoilé et les éclats magiques du plancton luminescent.

Nous avions John à bord. Nous serions en sûreté et heureux.

Au soir du 12 août, nous larguions les amarres et mettions le cap sur le Pays de Galles.

(A suivre)

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