De Troon à Bangor (et premier accrochage sur le parking)
Après ce premier galop d’essai pour Troon, nous nous sentions prêts pour des choses plus sérieuses.
Premier août. Nous avons passé une nuit tranquille dans la marina de Troon et avons mis le cap vers notre prochaine destination, Bangor, dans la baie de Belfast, en Irlande du Nord.
Nous sommes partis à 08h00. Nous préparer, et préparer le bateau à partir s’est toujours avéré plus long que prévu, mais cela n’a jamais vraiment posé de problème.
« Pas de stress » , c’était notre devise !
Le soleil était là, le ciel était clair, tout aurait été parfait sauf…
qu’il n’y avait pas de vent.
Nous avons donc opté pour le moteur.
La navigation au moteur vous offre une route-sol parfaite. La navigation au moteur vous donne une vitesse constante de 6 nœuds et maintient les batteries chargées. Nous avions un bon moteur, fiable (Beta 28 CV).
Mais la navigation au moteur, en plus d’être bruyante et malodorante, ne bloque pas le bateau gîté au bord sous le vent comme le feraient les voiles. Ceci sur China Blue se traduit par un roulement perpétuel d’un côté à l’autre, faisant sans cesse dévier le bateau de sa route, forçant à une attention constante sur la barre pour des corrections de cap en permanence.
Si vous avez lu, comme moi, que les bateaux à quilles longues sont stables et suivent leur route comme un train sur ses rails, eh bien… ne le prenez pas pour acquis.
Ai-je mentionné le pilote automatique? Bon, nous en avions bien un, fièrement « offert » par l’ancien propriétaire. C’était un vieux pilote de barre franche déjà maintes fois bidouillé, adapté à un bateau de 21 à 23 pieds de faible tonnage. China Blue mesure 36 pieds de long et pèse 12 tonnes. De plus, il n’y avait pas de fixation adéquate sur le morceau de tube d’échafaudage que nous appelions barre franche; nous avons donc oublié le pilote automatique.
Naviguer au moteur n’est pas la raison d’être d’un voilier.
Naviguer au moteur est ennuyeux et monotone.
Cette observation devait se vérifier tout au long de notre voyage, bien plus souvent que nous ne l’aurions souhaité.
Mais au moteur nous avons navigué, le long de la belle côte écossaise, passé Girvan, Ballantrae, Loch Ryan. Des noms magiques pour moi. Le ciel était toujours bleu, mais des conditions de vent contre marée ont commencé à se développer, rendant notre progression plus roulante.
Vers 15h00, en doublant Corsewall Point, nous avons changé de cap pour quitter la côte écossaise et faire route directement vers Bangor, à une trentaine de milles de l’autre côté du Canal du Nord (North Channel).
Très rapidement, l’état de la mer s’est détérioré. Les vagues étaient confuses, la houle courte nous frappait directement sur bâbord. China Blue tanguait et roulait, dérapant d’un bord à l’autre, perdant le cap à chaque vague, exigeant de gros efforts sur la barre pour conserver sa route, en attendant le coup de houle suivant.
Nous avons remarqué que la barre développait un jeu désagréable sur l’axe du gouvernail, ajoutant plus de stress à la conduite du bateau.
John et moi avons des bras forts. Nous avons encaissé cela pendant les 5 heures qui nous séparaient de Bangor. En fait, John a insisté pour tenir la barre pendant la majeure partie de la traversée. Je pense savoir pourquoi : j’étais à l’intérieur, occupé à essayer de réparer…
la pompe des toilettes !
Nous sommes arrivés relativement épuisés.
Planifier une traversée est de première importance.
Planifier une arrivée au port ne l’est pas moins, cela s’est confirmé à notre arrivée à Bangor.
L’état de la mer ne s’est calmé qu’une fois passé derrière le brise-lames nord, mais le vent soufflait toujours. Le capitaine du port nous avait donné un choix de plusieurs postes d’amarrage disponibles, nous avons donc choisi un amarrage à bâbord et John a préparé les pare-battages et les amarres à bâbord. Pendant ce temps, j’apprenais à piloter un canot de 12 tonnes dans un espace restreint et venteux.
J’ai repéré notre emplacement. J’ai tourné, trop tard, le vent nous a repoussés, et je l’ai raté.
« Bon sang, John, on prend le suivant, c’est tribord, vite, change ces foutues amarres ! »
Confusion, précipitation. J’ai réussi à m’approcher d’un catway tribord, et John a lancé une amarre à un passant, qui l’a attrapée. J’étais soulagé et j’ai commencé à préparer une autre amarre, quand j’ai levé les yeux… pour découvrir que China Blue dérivait ! Le gars sur le ponton n’avait pas réussi à sécuriser l’amarre. J’ai essayé de faire marche arrière pour nous éloigner des bateaux amarrés derrière nous.
J’ai découvert à ce moment précis que China Blue ne répondait absolument pas à la barre en marche arrière.
Un peu tard toutefois. Le vent nous a poussé contre les autres bateaux. L’un d’eux avait une grosse ancre proéminente, qui s’est coincée derrière l’un de nos chandeliers, le pliant. John et moi avons essayé de nous repousser, sans succès. Je ne pouvais ni avancer ni reculer sans empirer les choses.
Un couple qui nous a vus dans le pétrin a sauté sur le yacht à la grosse ancre. Ils ont combiné leurs efforts aux nôtres et ont réussi à nous libérer en nous éloignant contre le vent, me criant en même temps de mettre pleins gaz en avant. Nous avons réussi à nous éloigner, je suis sorti des pontons pour faire demi-tour dans l’avant-port et la tentative suivante a été mieux réussie.
J’étais furieux d’avoir effectué une manœuvre aussi désastreuse. J’étais en colère à cause de mon chandelier tordu. Le yacht à la grosse ancre avait une légère pliure dans son guide d’ancre, et cela m’ennuyait. Nous n’avions pas revu le couple qui avait définitivement sauvé la situation, et regrettions de ne pas avoir pu leur offrir une bière.
Et puis… John m’a réconforté, accusant le vent et le gars qui n’avait pas sécurisé l’amarre.
Mes amis voileux, sur WhatsApp, m’ont rassuré : « lequel d’entre nous n’a jamais plié un chandelier ! » .
Après tout, ce n’était qu’un morceau de tube avec quelques trous dedans.
Nous avons informé le capitaine du port qui est venu évaluer le petit dégât sur l’autre bateau, nous avons laissé notre numéro de téléphone et notre adresse mail. On n’en a jamais plus entendu parler.
Plus tard dans la soirée, autour de bières bien méritées, John et moi avons discuté de nos erreurs et mis au point différentes stratégies pour s’amarrer dans différentes conditions de vent.
Il y a toujours quelque chose de positif à tirer d’une mauvaise situation.
Et le gentil couple qui nous avait sauvé la mise ? Ca, c’est une autre histoire…
(À suivre)